Par Nicolas Pelicioni
Il y a quelque temps, j’avais un groupe de lectures pour étudier James Joyce. Un soir, on discutait de l’« épiphanie », mot théologique qui, chez Joyce, signifie une intuition très particulière que quelqu’un a sur quelque chose — une révélation ! Aujourd’hui je comprends très bien, mais à ce moment-là, ce n’était pas facile.
Comme c’est courant dans ces groupes de lecture, après une heure d’étude, on commence à discuter d’autre chose. Cette fois, nous avons commencé à discuter des animaux et de la cruauté humaine. Ce n’était pas grand chose, mais une de mes amies nous a dit qu’elle ne tue pas, même pas les cafards. Quand elle voit un cafard, elle le ramasse avec une serviette et le libère dans la rue.
On protestait parce que le cafard n’est pas un animal, c’est un insecte laid, inutile et sale ! « Tu utilises une serviette jetable, j’espère ?” lui a demandé quelqu’un — elle ne répondit pas. De ce fait, on a considéré que ça serait mieux de retourner à James Joyce.
Après les lectures, nous nous disions « au revoir » et après un ou deux jours j’ai complètement oublié l’histoire du cafard. Pas complètement, mais suffisamment, parce que quelque fois j’ai besoin de me réveiller au milieu de la nuit pour aller aux toilettes. Comme j’ai des insomnies, je n’aime pas quitter mon lit, mais ce sont des choses que nous ne choisissons pas, alors il ne me reste plus qu’à y aller. Imaginez, je suis en caleçon et tricot de corps, avec des tongs et complètement somnolent. Je me mets devant les W.-C. et, quand je commence à uriner, je vois un cafard qui arrive.
Pourquoi un cafard est arrivé ? Mon amie le ramasserait avec une serviette et le libèrerait dans la rue (à deux heures du matin ?) Il ne sait pas que je le tuerai ? C’est un insecte très stupide ! Je ne me dépêche pas. J’urine et après j’enlève une de mes tongs pour le tuer. Il commence à courir, mais pas au hasard : il sait parfaitement ce qu’il se passe. Il sait que j’ai l’intention de le tuer.
Le cafard court exactement à la jointure du mur et du sol. Après, il court jusqu’à l’angle de quatre-vingt-dix degré formé par les deux murs qui se rejoignent! Et, dans ce point ma tong ne peut pas l’atteindre. Maudit insecte ! Comme je l’ai dit précédemment, je souffre d’insomnie et, probablement, après toute cette activité je ne dormirai plus.
Voyons... il me faut un balai — j’en ai un dans les toilettes ! Avant que j’attrape le balai, le cafard fait une chose entièrement inattendue : il m’attaque ! Il court en direction de mes pieds, et comme ma tong est dans ma main je ne peux pas marcher sur lui. Cette attaque est rapide et peu efficace puisque le cafard ne m’atteint pas, il a simplement changé de place, d’un coin des toilettes à un autre.
Ça suffit ! Je comprends que j’ai perdu toute ma nuit à cause de cet insecte. J’attrape le balai, je me prépare à le tuer et, tout à coup, je ressens le sentiment d’« épiphanie », de James Joyce ! Je vois que le cafard a peur de moi et que le pauvre lutte pour sa vie comme je lutterais pour la mienne ! Pour moi, il représente quelque chose de dégoûtant, pour lui, je suis sa propre mort.
Il est au coin du mur, complètement immobile. J’ai le balai dans les mains et j’ai l’impression d’être un monstre et un lâche. C’est alors que je me mets à réfléchir devant le cafard, peut-être que je comprenais mon amie !
C’est vrai que, comme tous les être humains, j’occupe beaucoup d’espace. Dans cet espace que j’appelle maison il ne doit y avoir que moi, aucun autre être n’est le bienvenu — ni le cafard, ni la termite, ni l’araignée, ni le moustique, ni le scorpion, ni le pigeon, ni la souris, ni le jaguar... Peut-être un chien, peut-être un chat ; mais, habituellement, chez nous aucun autre être n’est le bienvenu !
Le cafard m’attend. Je ne le tuerai pas... Je l’imagine dans mon lit, marchant sur moi avec ses six pattes. J’imagine qu’il a des amis et que ma maison serait connue dans le quartier comme la maison des cafards. C’est juste, c’est une question esthétique : tuer les cafard et sauver les abeilles ?
Le cafard m’attend encore... Non, je ne suis pas fou ! Je le tue et il n’y a pas besoin que mon amie sache que je suis un tueur de cafards... À vrai dire, je ne crois pas qu’un jour on va faire disparaître ce maudit insecte.
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